Dans la rue, je tourne la tête et te surprends à me regarder. Tes yeux un moment se mêlent aux miens, nos pupilles se fondent en un lien fugace. Nous soutenons l’âme de l’autre. Tu ne demandes rien, je n’exige pas de réponse.

Tu es l’étranger qui n’a pas de nom. Ton existence pourtant s’impose à moi. Loin des coups d’œil indiscrets lancés par le désir ou l’intérêt, tu es celui qui observe sans intention et partage ta conscience sans effusion

Tant d’êtres autour de nous, de paroles qui roulent et noient le silence, de corps se percutant en excuses murmurées ou oubliées, dans la foule nous collons indécemment nos membres mais évitons de nous reconnaître.

Je ne peux pas te décrire puisque je ne t’analyse pas, nos chairs réellement ne comptent pas, ce que je perçois dans le fond de ta vue tu me le renvoies en miroir, l’aveu innocent d’une secrète alliance se passant de langage.

Une étincelle sur ta rétine s’agrandit et me laisse contempler la danse de tes démons, la claire ronde de tes anges, tes espoirs et rêves emprisonnés par tes désillusions et tes cauchemars, ton esprit se donne en partage.

Pareillement tu plonges dans mon essence, tu sens chez moi la vibration qui est en toi, nous sommes de la même substance, tu vis mon existence et mon cœur bat sur la mesure du tien, un même souffle anime nos chemins.

Puis tes proches te tirent à eux, les miens m’interpellent, et chacun nous retournons à notre quotidien, rompant sans clémence ce transport généreux. La grâce retrouve son sommeil profond lorsque nous fermons les yeux.

Étranger, nous nous sonderons à nouveau un jour au croisement d’une route, lorsque l’indicible rompra notre routine pour tisser entre nous cette vérité impalpable de nos impénétrables natures humaines.

© Béryl Huba-Mylek