Un instant suspendu

Le lecteur mélomane excusera cet article sur le concert du 16 octobre, dans la galerie des glaces, d’Alexandre Tharaud et des Violons du Roy

Alexandre Tharaud pochette CD Jeunehomme

Quelques instants suspendus, en apesanteur, et la magie paraît. Une petite porte sur la gauche, et nous voilà dans le château de Versailles, la nuit. Les pièces se succèdent, habitées par quelques privilégiés, venus entendre une symphonie de Haydn et deux concertos de Bach et Mozart ranimer les murs du palais. Quelques lumières artificielles guident notre avancée dans la pénombre ; comme il est étrange de fouler le sol de ce bâtiment habituellement bondé de monde, qui paraît si vide, si calme. La galerie des glaces se dessine bientôt, illuminée par les lustres sur lesquels des flammes de verre brûlent. Les statues toisent les rangées de chaises occupées par les spectateurs. Les miroirs réfléchissent les vitres des fenêtres, qui réfléchissent le cristal des chandeliers, qui réfléchissent le feu trompeur des ampoules ; les dorures se parent d’une brillance mate, les touches blanches des tableaux captent quelques rayons lumineux, et la longue salle scintille ainsi des reflets sans cesse renvoyés et perdus. Des éclats de voix montent vers le plafond, on sourit avec politesse en hochant un peu la tête ; certains, puisque le siècle est ainsi fait, s’amusent à se photographier avec leur portable qu’ils tiennent à bout de bras.

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« Les sceptiques seront confondus »

Il vaut mieux avoir vu le film pour lire cet article

affiche MK2 Diaphana Distribution

De son propre aveu, Xavier Dolan traite, dans chacun de ses films, d’amours impossibles. Avec Mommy, il place pour la seconde fois la relation mère/fils au centre de l’intrigue. La figure maternelle obsède le réalisateur ; le seul film où elle n’a qu’une importance minime, Les Amours Imaginaires, est peut-être le plus drôle de sa filmographie, mais aussi le moins fort. Que ce soit Anne Dorval dans J’ai tué ma mère, Nathalie Baye dans Laurence Anyways, Lise Roy dans Tom à la ferme, ou Anne Dorval, de nouveau, dans Mommy, la mère hante la fiction du jeune homme. Elle change constamment, endosse différents costumes, se montre sous les traits de différentes actrices, s’invente et se réinvente autant que Xavier Dolan, mais, toujours, elle habite remarquablement ses films. Même lorsqu’elle paraît secondaire, le spectateur ne peut oublier sa présence, ni sa relation avec son fils, invariablement conflictuelle ; et pourtant, ils s’aiment.

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Sherlock y es-tu ?

Il est préférable d’avoir vu la saison 3 pour lire cet article

Sherlock Series 3

La troisième saison de Sherlock n’a accompagné les spectateurs que deux semaines, offrant trois épisodes aux assoiffés de la série, avant de disparaître pour une durée indéterminée (il semblerait qu’une quatrième saison soit certaine de voir le jour, on murmure qu’une cinquième pourrait très bien suivre). Dès ses débuts, la série inventée par Mark Gatiss et Steven Moffat a connu un franc succès public et critique, propulsant Benedict Cumberbatch (dont les plus ferventes fans se font appeler Cumberbitchies) et Martin Freeman (qui a depuis endossé le costume du célèbre Bilbo) au rang de superstars. Pourtant, le pari n’était pas gagné. Sherlock avec un téléphone portable ? Sherlock dans le métro ? Sherlock aujourd’hui ? Les puristes enrageaient déjà, d’autant plus que la version musclée du célèbre détective, incarnée par Robert Downey Junior, semblait avoir achevé de détruire le mythe.

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« Who is the man that did that to you ? »

Il est préférable d’avoir vu la série pour lire cet article

Jane Campion, réalisatrice primée à Cannes pour le très beau La leçon de piano, retrouve la Nouvelle-Zélande et Holly Hunter pour filmer avec soin sa nouvelle série, Top of the Lake. Hybride et déroutante, ni tout à fait policière ni tout à fait psychologique, cette œuvre, qui pourrait presque être un film en sept parties, se déroule au bord du lac Wakatipu, dans une nature magique et terrifiante. Chaque plan est envoûtant, chaque scène magistralement tournée. Une enquêtrice mélancolique tente désespérément de retrouver une jeune fille disparue, victime comme elle autrefois de la violence des hommes. Sa quête va raviver des souvenirs douloureux et mettre à jour les secrets enfouis des habitants de Laketop. Prisonnière des montagnes, la ville doit son nom au lac qui habite ses frontières. Au cœur de cette immense étendue bleue, la légende raconte que bat le cœur d’un démon. Cette eau qui dort, et dont, comme on le dit si bien, il faut se méfier, se présente comme le fil conducteur de la série. Immobile, lieu de passage, de mort, mais aussi de vie, le lac assiste, comme un spectateur, à la chute d’une société patriarcale gangrénée jusqu’à la moelle, accueillant sur ses berges les femmes qui, sans peut-être vraiment le vouloir, vont renverser le pouvoir.

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