Le couloir blanc

Ils arrivent dans le couloir blanc,
Elle court derrière et lui devant.

Sa jeunesse brouillée 
Derrière des rides de larmes,

Le long de sa gorge des sanglots tremblants
Remontent
À son sourire tombant,

L’élan de ses jambes
Contre la maudite faucheuse,

Rattraper l’homme
Qui fuit,

Mais 
L’encre du désespoir
Déjà
Noie son regard.

Son visage défait figé dans la stupeur,
Ses yeux fixés sur l’image 
D’il n’y a pas une heure,

Des meurtrissures le long de ses doigts
Qui ont cherché 
Puis aggripé 
Le minuscule vêtement 

Sa course
À bout de souffle
Dans l’écho des pas précipités 
De la femme aimée
Dont il tient aujourd’hui le petit
Contre lui,

Ses bras douloureux
L’enlacent,
Et dans un dernier bercement
Nient encore.

Moins de deux ans après,
Le même corridor,
Dans le fracas des bombes
Est un passage de mort

Et
Dans le vide 
Le bras 
Ballant
De l’enfant.

© Béryl Huba-Mylek

La ligne d’or

Autour de son annulaire gauche, un épais cercle doré, autour du sien, deux fins arrondis capturant la même lumière. Ce jaune mordoré entoure leurs reflets dans un rectangle patiné par le temps, pend au cou du chien, brille au fond des yeux des félins. Des étincelles se sont perdues dans les iris du jeune homme et n’en sortent plus, d’autres s’attardent dans sa barbe mandarine lorsque le jour décline, le soleil imprime sa marque sur son rayonnant sourire. Les ombres grignotent les lueurs paresseuses du soir mais un éclat résiste et dessine à l’horizon une persistante ligne d’or. Derrière ses paupières closes, elle perçoit la clarté réconfortante de cette lointaine lanterne qui veille sur leur sort lorsqu’elle dort.

© Béryl Huba-Mylek

Un vase brisé

Lorsque j’arrive devant le café où nous devions nous retrouver, elle m’attend dehors, dans le froid. Plongée dans un livre, elle ne me voit pas approcher et évite ainsi mon air agacé : je lui avais pourtant dit de s’installer au chaud, mais c’est comme si elle n’osait pas entrer dans un endroit qu’elle ne connaît pas, ou connait mal. Nos regards se croisent, une gêne accompagne nos « bonjour, comment ça va », et une fois attablées, nos commandes passées, face à face, un mur invisible se dresse entre nous.

Je lui demande comment s’est passée sa journée, je l’interroge sur ses relations avec ses collègues au lycée, sur ses élèves, elle parle de son travail – pour lequel elle est douée, je crois – avec plaisir. Au début, elle tâtonne, elle pourrait raconter ce qu’elle me dit à n’importe qui : les petites tensions avec le professeur d’histoire, ses échanges avec une autre enseignante de français, une élève de seconde un peu compliquée mais pour laquelle elle nourrit quelques espoirs. Elle me questionne aussi mais je réponds à peine, je la relance, sur sa vie, sa famille, je n’arrive plus à partager ce qui m’arrive avec elle.

Aime-t-elle le livre qu’elle lit ? Elle s’anime, ses joues prennent une teinte rosée, comme deux petits cercles dessinés par des enfants, elle devient vive, assurée, attirante même, elle qui cache son corps lourd dans des vêtements trop grands. Ses mains ne cessent de monter et de descendre, elle repousse parfois une mèche rousse de son visage, défait sa coiffure, la refait, tout en détaillant l’histoire naïve mais touchante d’une héroïne ordinaire, « une femme seule qui s’intéresse à autre chose qu’aux hommes tu comprends », une rareté m’assure-t-elle, et elle souligne toutes les qualités du personnage – son indépendance, son courage, sa ténacité, sa force – dont elle-même est privée, ne puis-je m’empêcher de penser.

Elle essaie de nouveau de me pousser à la confidence, elle a ce sourire d’une douceur extrême, elle hoche la tête, pose son menton sur le dos de sa main, mais je n’arrive plus à la regarder comme autrefois, à être aveugle à la violence cachée dans ses grands yeux noirs.

Nous n’avons jamais reparlé de notre dispute. Il n’était pas possible, après les mots durs, d’en trouver qui pourraient panser les plaies. Quelques mois de silence devaient réparer le pacte de confiance que nos attaques avaient fait éclater.

Une fois, j’ai recollé les morceaux d’un vase brisé sur le carrelage, un vase justement qu’elle m’avait offert et auquel je tenais. Il semblait bien reconstitué, mais le puzzle était incomplet, il manquait de minuscules parties qui suffisaient à laisser filer l’eau. Nos paroles, qui autrefois débordaient, nourrissaient notre complicité, fuient entre les entailles que notre querelle a découpées, et nous restons assoiffées.

Elle compare tout à coup l’héroïne dont elle me parle à celle que nous aimions tant adolescentes, qui figurait en haut de notre liste des « meilleures héroïnes de fiction ». Je me souviens des noms griffonnés sur les nappes en papier des cafés où nous nous retrouvions, comme celle sous nos coudes qui restera vierge de son écriture ronde et de mes pattes de mouches. Elle se tait et nous nous regardons. Un éclat de lumière m’éblouit et brouille son image, je vois la vitre invisible entre nous. Si je pose ma main, est-ce qu’elle sera glacée ?

Nous payons nos consommations séparément, le serveur nous sourit aimablement, nos rictus sont plus crispés.

Je la quitte devant une bouche de métro. On ne souhaite pas se quitter, mais nous nous sommes déjà séparées.

Je dévale les escaliers.

Libre ?

© Béryl Huba-Mylek

Que dois-je dire ?

Dans l’intimité aujourd’hui si rare et précieuse, certains humains vivent les heures lumineuses de leur foi ou de leur cœur.

Qu’est-ce que je vis moi ? Que dois-je dire ?

Je ne peux décemment poster des photographies de mes deux beaux chats, dont un fut sauvé et rescapé après avoir été jeté dans la rue alors qu’il n’avait pas un mois.

Je ne peux pas non plus décrire les visages que je fige comme des portraits dans mon esprit, mais qui se déplacent sur l’écran de mes yeux, de mon mari, de mes soeurs, de mes parents, de mes amis.

J’ai longtemps cru, tellement, que l’instruction, la culture pouvaient élever… mais ce soir je crois…

Qu’on ne peut plus rien croire, que les fous ne sont plus qu’à craindre, je crois.

Je veux des miaulements, des aboiements, des pleurs de rires pour couvrir tout ça.

Je n’ai pas les mots, mais je ne connais point une personne sensée qui prierait pour si peu.

À tous les futurs adultes, ces enfants que j’aime désespérément, je vous souhaite des étincelles de lumière, de la patience et malheureusement surtout des armes.

En attendant dormez et surtout endormez-vous.

Je pense à vous.

© Béryl Huba-Mylek

L’amour fou

On ne pouvait pas vivre et être amoureux. Il fallait être amoureux, il fallait n’être qu’amoureux. On ne pouvait plus se souvenir tout à coup qu’on avait faim ou soif, on n’était plus un être humain biologique soumis aux lois corporelles mais une essence, l’essence même de l’amour, non, l’essence de l’autre, l’essence de l’être aimé, particulier, unique. Cet amour-là n’a jamais été, c’est une évidence, c’est un bouleversement si fort qui anéantit tout ce qu’on a été, on n’est plus que pour l’autre, la vie s’arrête, la vie n’est plus, il n’y a plus de vie, il n’y a que le sentiment amoureux, la pensée de l’être aimé, l’attente, toujours, et en sa présence, un besoin de se perdre, de disparaître là, de ne plus jamais sortir de cet instant, et tout le reste n’existe que pour ce moment-là, ces quelques heures (parfois des heures, oui !) passées avec lui, et quand la fin approche, une seule certitude, un seul espoir : cela reviendra. Je vais attendre encore de vivre, de vivre pour être là, avec lui, pour être celle qu’il aime, celle à qui il parle, celle qu’il regarde, et qu’il soit celui que j’aime, celui à qui je parle, celui que je regarde, et quand je suis avec lui, je n’ai plus de corps tellement je suis légère, je n’ai jamais été aussi libre, je n’ai jamais vécu avant puisque je n’étais pas amoureuse, puisque je ne vivais pas pour lui, pour ce moment, pour ce regard, pour toi, toi que j’aime, toi dont je suis amoureuse, toi qui m’as enfermée dans ce temps où je me perds, où je ne suis plus qui j’étais, après ce temps je ne serai jamais, jamais plus qui j’ai été, je serai une survivante, une survivante de cet amour, une rescapée, voilà, une rescapée de l’amour, comme il y en a tant et tant, de tels rescapés, qui croient qu’ils sont nés pour cela, pour cet amour-là, cet exceptionnel être-là, ces rescapés qui tout à coup imaginent que l’on peut ne vivre que de ça, qui oublient qu’ils continuent de manger, de boire, de dormir, qui pensent n’être plus qu’amour, plus que l’autre qu’ils ne connaissent même pas, qui se convainquent que même si tout le monde en parle personne ne l’a jamais vraiment vécu, parce que personne ne peut vivre aussi intensément que cela, personne ne peut vivre cela et s’en remettre, personne ne peut vivre cela et continuer de vivre, non de vivoter, d’aller faire ses courses au supermarché, de prendre des rendez-vous chez le médecin ou chez le dentiste, de rendre visite à sa famille, à ses amis, ça n’existe pas, c’est impossible, c’est la première fois que je, qu’elles et qu’ils expérimentent vraiment, totalement, pour de vrai cet amour, parce qu’un tel bouleversement c’est impossible qu’il arrive si fréquemment, qu’il soit vécu par autant d’êtres humains actuellement en vie et encore moins par tous ceux qui sont morts maintenant, un seul bouleversement comme cela change non pas une vie mais le monde, car c’est le monde qui a changé de trajectoire tout à coup, le Soleil et la Lune ne sont plus les mêmes, je suis autre et c’est impossible que nous soyons tous autres et que tous, tous, nous finissions par continuer de vivre et ne plus être amoureux comme cela, comme là, dans cet instant où tu me regardes, et je te regarde, alors que c’est là, finalement, en t’aimant, en m’effaçant, en m’oubliant, que je meurs. 

© Béryl Huba-Mylek

Le rose du ciel

Il a plu si fort, la route, lit d’un éphémère ruisseau, chauffe maintenant sous un soleil hésitant, des diamants de soleil ici ou là reflètent la lumière d’une tranquille après-midi de mai. Demain, nous pourrons sortir, sans feuille de papier, sans écran numérique pour justifier nos déplacements, nous respirerons l’odeur intense de l’orage qui vient de s’évanouir, et sentirons sur nos peaux l’air encore pur d’un Paris préservé, quelques semaines, de l’activité humaine.

Les fleurs, de l’autre côté des grilles encerclant le parc Monceau, continueront à émettre un parfum que nous humerons de loin, les mains agrippées sur les barres de fer forgé, les yeux rivés dans un Éden au cœur de la ville, que notre présence rend inévitablement plus fragile. L’agitation restera un faible bruissement, tant que les terrasses n’accueilleront pas l’incessant manège des comédies humaines, tant que les salles de spectacle ne s’animeront pas de vertigineux divertissements, tant que la folie artistique n’emportera pas les foules dans les musées aujourd’hui silencieux où les œuvres vivent désormais loin des yeux scrutateurs de leurs commentateurs.

Derrière les murs, au sein des foyers mutilés deux longs mois, combien d’embrassades, combien de sourires, combien de joyeux pleurs et de tristes rires s’accorderont en une étrange symphonie de « ça fait longtemps », « comme tes cheveux ont poussé », « ah… tu m’as manqué ! » ?

Et ensuite, la machine, que nous avons à peine muselée, qui s’est trompeusement tue, va-t-elle repartir de plus belle, et nous entraîner dans cette tornade folle qui couvre le chant des oiseaux, les aboiements nocturnes, les rares coups de sonnette d’un vélo solitaire ?

Infernale mécanique qui devait tisser notre bonheur, mais nous emprisonne de liens que nous avons si peu le courage de rompre, tétanisés par le travail qu’il nous faudra réaliser pour panser les blessures d’une humanité ravagée.

Pour le moment, encore, le ciel changeant, gris, bleu, violet, jaune, blanc, et ce rose, toujours, qui accueille l’aurore et salue le crépuscule. Qui accueillera-t-il lorsque tout sera fini ? À qui fera-t-il ses adieux ?

Survivra-t-il, le rose du ciel ?

En attendant, je l’observe.

© Béryl Huba-Mylek

Écrire

Juliette demande « qu’est-ce qu’il y a dans un mot », qu’y trouvons-nous, et pour le trouver, qu’y avons-nous caché ? Qu’est donc cette quête de l’écriture, du mot juste, et comment la commencer, quels outils emportons-nous sur le chemin de la fiction et de l’imagination ?

Faut-il que l’écrit soit grand ? Comment le savoir ? Faut-il plus que la facilité pour jeter des phrases sur du papier ? Faut-il du talent ? Est-ce suffisant pour que cela soit important ? Du génie alors ?

Et pourquoi cette nécessité ? Pourquoi est-ce que je veux écrire si grand ? Si cela est médiocre, pourquoi l’écrire. Mais comment passer à côté de l’écriture avec pour seule excuse « Je ne suis pas Shakespeare » ? Quelle idéale esquive. « Je ne suis pas assez. » Sur les étagères pourtant, on ne trouve pas que les pièces de ce cher barde anglais.

Qu’est-ce qui pourrait être assez ? Cette place que je cherche, où et comment la trouver ? S’ils sont tant à le faire, pourquoi ne pas ajouter ma voix, quelle réelle raison à cela, si ce n’est la peur de n’être pas jugée à la hauteur, ou d’être jugée tout court d’ailleurs.

Dans un mot, nous disons beaucoup, ou plutôt, je dis beaucoup. Je dis ce que je n’ai pas. Je dis le manque. Je n’ai pas les mots ou le mot qu’il faut. Je ne sais pas comment exprimer autrement, différemment. Tous les auteurs que j’admire m’écrasent, les ombres de leurs plumes sont sur moi, des échos de ce qu’ils ont mieux dit, écrit, m’habitent.

Je voudrais capturer le monde. Son essence. Un instant. La lumière de cet instant, les émotions qui en naissent, le sentiment qui nous prend. Le geste que l’on fait. Les manquements et la cruauté. Le silence et les bouleversements. Je voudrais coucher, là, tout ce que nous sommes et avons été, tout ce que nous serons et ne serons jamais. Que ce soit trop beau ou trop déchirant, parfaitement juste ou un peu dissonant, mais que ce soit surtout suffisant.

Je n’ai plus d’histoires en tête. Tout me dépasse. Je n’ai plus rien à raconter. Je n’ai plus rien à dire.

Qu’est-ce qu’être un homme et de mourir ?

Qu’est-ce que c’est que cela ?

Comment pouvons-nous survivre sans fiction. Tenons-nous tous car nous nous racontons des histoires ?

Et moi, c’est quoi, mon histoire ?

Dans un roman, après l’enfance, la jeunesse et les premiers pas dans le monde, après les éclats et les terribles déceptions, une fois les désillusions bien inscrites dans la peau, les blessures saignantes encore sur le coeur, l’héroïne enfin balaie la table et s’installe, et elle écrit, écrit, écrit. Dans un film, une musique entraînante rythmerait la cadence.

Et évidemment, elle serait publiée.

Et connaîtrait même le succès.

© Béryl Huba-Mylek

Le crime n’est pas un manque de vertu

Un éditorialiste du Monde dénonce les nouveaux censeurs, champions de la vertu, qui empêchent la projection du dernier film de Polanski. Le réalisateur, comparé à Gauguin et à d’autres créateurs attirés par les jeunes femmes, n’a pas à être moral : c’est un artiste.

Tout est mêlé, mal tissé. Le manque de vertu n’est traité que sous un seul aspect, celui de la concupiscence des hommes. Face à leurs plaisirs sensuels se dressent, réactionnaires, les femmes qui les bâillonnent. Elles manquent de recul, voire d’intelligence, accusatrices déchaînées de la complexité.

La censure, sans aucun doute, ne doit pas être l’arme de ceux qui espèrent la liberté. Laissons J’accuse sur les écrans. Cessons peut-être d’affirmer que son auteur est revenu au Pianiste, tant on est loin de la sensibilité et de la subtilité qui caractérisaient ce film. Défendre la liberté d’expression et de création, oui, mais pas au détriment de l’esprit critique. Passons, là n’est pas le sujet.

Ne l’évitons pas, justement, le sujet. Gauguin n’a sans doute pas violé de jeunes filles. Il a plutôt, dans les îles, profité de mœurs qu’on condamnait déjà à Paris. On peut aussi dire qu’il a « embrassé » une autre culture, celle où l’on couche avec des jeunes filles de 13 et 14 ans lorsque l’on en a plus de quarante. Ne jugeons point avec notre regard contemporain nous dit-on. Ni son colonialisme, ni son attrait pour les corps juvéniles.

Il faut se replacer dans l’époque. Et force est de constater qu’à celle de Gauguin, tout comme bien avant, tout comme ces jours-ci, des hommes d’un âge certain ne peuvent s’empêcher de désirer des filles à peine sorties de l’enfance. Est-ce leur beauté, leur innocence ? Pourquoi aimez-vous tant qu’elles soient si jeunes, si naïves, si vierges ? Un manque de vertu ? Une soif de domination ? Un rêve puéril ? Une envie d’échapper au temps ? Ce débat est important. Il ne doit pas être qualifié d’attaque « morale » de « néo-féministes ». Prenons-le à bras le corps.

Il me semble tout de même que le sujet Polanski est différent. Certes, très clairement, il est de ceux qui préfèrent les femmes ayant quelques dizaines d’années de moins que lui. Mais ce désir, cette passion, ce n’est pas un crime, ce n’est pas son crime.

On accuse Polanski de violer des femmes.

Un manque de vertu ? Au sens fort, alors. Un manque de vertu car il n’a pas la force de se porter naturellement vers le bien. Car il manque de courage moral. Mais même-là, on ne semble pas tout à fait toucher à la violence de l’acte. Nous ne sommes plus dans la sensualité. Nous ne sommes plus dans le désir. Nous ne sommes plus dans une simple question morale rattachée à qui désire qui, pourquoi, et comment. Nous sommes bien plus loin. Bien trop loin.

Ne pas condamner une oeuvre. Mais s’il faut défendre son auteur, bien le faire, sans tromper, sans détourner. Interdire un film est inutile mais nier le crime dont Polanski s’est rendu coupable au moins une fois, et peut-être plusieurs, est grave. Il n’est pas uniquement de ceux qui « manquent de vertu » et partagent le lit de jeunes femmes, trop jeunes femmes. Il a violenté, il a fait mal, il a forcé, il a abusé. Il fut criminel. Si les femmes n’ont pas le droit d’être juges, s’il faut s’en remettre à la justice, peut-on demander à l’éditorialiste, comme à tant d’autres, de ne pas se faire avocats ?

Soyons admiratifs, mais ne soyons pas dupes. Le génie artistique n’est pas un alibi. Alors, même si cela dérange, il faut pouvoir regarder l’homme derrière la peinture, derrière la pellicule, derrière les mots, et pouvoir nommer le mal qu’il a fait. Cela n’empêche pas l’oeuvre d’être. Et permet aux victimes d’exister.

© Béryl Huba-Mylek

Mettre en terre

Dans la terre sèche, je veux t’enterrer. Une terre friable, une terre propre, une terre tranquille. Une terre qui crie famine.

Je ne t’arroserai pas, tu n’auras rien de moi. La nature reprendra ses droits, et sans doute seras-tu pour elle un divin repas.

À cette terre à laquelle j’ai tant pris, et jamais rien donné, je veux aujourd’hui sacrifier cette offrande. Plonger tes racines dans son corps meuble et tendre.

Toi qui m’as tant nourrie, tant accompagnée, toi qui me pousses aux larmes, toi qui toujours m’animes, sois pour ma terre source de vie.

Je t’inhume, je te laisse, je ne reviendrai pas. Sois créatrice, sois nourricière et notre terre, sauve-la.