Lumineuse Carol

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Carol s’ouvre et se ferme sur deux scènes qui rappellent Brève rencontre de David Lean, dont Todd Haynes admet s’être inspiré. Si cette référence permet d’inscrire le film dans la lignée des grands drames romantiques, elle le dessert peut-être un peu. Carol est un film magnifique, mais il lui manque l’émotion poignante de son aîné. Toutefois, la remarquable performance de Cate Blanchett transcende le film, et elle parvient à sortir du sage cadre romanesque pour nous emporter dans sa passion.

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Ma mère

Mia Madre

Avant sa sortie officielle, Mia Madre de Nanni Moretti avait déjà fait couler beaucoup d’encre, de nombreux critiques de cinéma l’ayant déclaré en mai 2015 « notre palme d’or » lors du festival de Cannes. Tous les amoureux du cinéaste attendaient avec impatience ce film présenté comme une pépite émotionnelle, un grand mélodrame, un nouveau chef-d’œuvre du grand réalisateur italien. Lorsqu’un film est ainsi raconté avant même d’être découvert, il prend le risque de décevoir le public, qui n’y trouve pas nécessairement les développements lus dans les différents articles de presse. Plusieurs spectateurs sont ressortis de la séance en ayant l’impression d’être passé à côté d’une oeuvre qui ne les a pas bouleversés. Ce n’est pas mon cas.

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Mademoiselle Hokusai

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Le film de Keiichi Hara, sur la fille du grand artiste japonais Hokusai, s’ouvre sur une surprenante musique rock ‘n’ roll. Dans l’interview qu’il a donné aux Cahiers du Cinéma (n°714, septembre 2015), il justifie ce choix en assurant que les artistes sont des marginaux, que leur mode de vie hors norme et scandaleux rappelle les frasques des musiciens de rock. Il explique également que Hinako Sugiura, la dessinatrice du manga dont il s’est inspiré pour son film, écoutait ce style de musique quand elle travaillait. Le ton est donc donné, Miss Hokusai est une rebelle, un de ces esprits libres qui n’a pas suivi le conformisme de son époque. Jeune femme dotée d’un immense talent, O-Ei a vécu avec son illustre père, dessinant des dragons et des estampes érotiques avec une déconcertante facilité.

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L’enfant et la guerre

original-636017-567Rapprocher L’enfance d’Ivan, premier film d’Andrei Tarkovski, de Récit d’un propriétaire, oeuvre souvent jugée mineure d’Yasujirô Ozu, peut laisser perplexe. Quel rapport entre le film pro-soviétique du grand réalisateur russe, et celui burlesque et plus anonyme du non moins grand réalisateur japonais ? La guerre, évidemment, et l’enfance ; le hasard, surtout, qui fait découvrir en une semaine deux histoires que jamais autrement nous n’aurions pensé à réunir. Les quinze années qui séparent les deux films sont loin d’être la différence majeure entre le tragique et flamboyant L’enfance d’Ivan, et le drôle et bouleversant Récit d’un propriétaire. Ivan, enfant monstrueux et martyr, est plongé dans une guerre violente dont il ne ressortira pas vivant. Tarkovski le magnifie, reprenant l’iconographie religieuse pour le mettre en scène. Kohei quant à lui se montre silencieux, pleureur, boudeur, enfant mal dégrossi errant dans le Japon dévasté d’après-guerre. Ozu le filme avec toute la tendresse mordante qu’il a pour ses personnages. Lire la suite

En quête d’innocence

Il vaut mieux avoir vu le film pour lire cet article.

B393Park Chan-Wook aime la violence et prend, visiblement, un certain plaisir à la mettre en scène. Toutefois, même lorsqu’elle déclenche le rire, elle ne semble jamais aussi gratuite que chez Tarantino (seul Reservoir Dogs ne se complaît pas dans le bain de sang gratuit). En 2002, il entreprend une intrigante trilogie sur la vengeance, soulignant sa triste incapacité à apaiser les âmes. Après le déroutant Sympathy for Mr Vengeance, et l’horrible Old Boy, le dernier opus, intitulé Sympathy for Lady Vengeance, sort en 2005. Moins bien accueilli par la critique que ses deux aînés, le film s’avère pourtant le plus réussi de cette saga. Formellement moins maîtrisé, sans doute plus brouillon, la puissance émotionnelle est pourtant décuplée, et le message du réalisateur teinté d’une mélancolie toute particulière sur la perte de l’innocence.

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Voyage au bout de la nuit

Opening Night 2

« Je veux la jeunesse, la force énorme des rêves, le bonheur… » Myrtle Gordon est restée dans l’histoire du cinéma comme une de ses plus grandes héroïnes. Incarnée avec une force rare par Gena Rowlands, elle paraît au sommet de sa gloire. Pourtant, le temps passe et la rattrape. Sur scène, elle va jouer une femme plus vieille qu’elle. Malgré ses quarante ans bien sonnés, elle se sent étrangère à ce personnage qui a oublié de vivre et laissé ses rêves s’envoler. Car Myrtle est toujours belle. Car Myrtle est encore une grande actrice. Mais demain ? La pièce dans laquelle est joue s’intitule La deuxième femme. Une autre, donc. Une seconde. Ce n’est plus la première. Myrtle ne peut accepter cela. Elle le dit, elle ne la comprend pas. Qui est cette femme ? Ce n’est pas elle.

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Les adieux à l’enfance

Il est préférable d’avoir vu le film pour lire l’article. 

affiche-vice-versa-disney© Disney – Pixar

Sans doute, des petites peluches à l’effigie des cinq émotions qui habitent le cerveau de Riley vont bientôt peupler les chambres des bambins. Assurément, une attraction naîtra prochainement à Disneyland qui fera la joie des petits et des grands. Nul doute que qui ne connaîtra pas Vice-Versa se sentira aussi démuni que ceux qui ne peuvent chantonner le tube de La Reine des Neiges. Mais le succès commercial qui va travestir les personnages de Pete Docter ne devra pas faire oublier que Pixar, de nouveau, a brillé.

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L’insoutenable pesanteur de l’être

Il vaut mieux avoir vu le film pour lire cet article.

© Nord-Ouest Films - Arte France Cinéma 5© Nord-Ouest Films – Arte France

Stéphane Brizé signe, avec La Loi du marché, un film important. Important, car il raconte l’histoire de ceux qu’on écarte trop souvent des écrans de cinéma. Important, car au premier semestre 2015, 10% de la population française est au chômage. Important, car le combat des réalistes ou des naturalistes n’a pas pris fin. Il faut dénoncer les injustices, il faut faire des pauvres gens des héros de roman (ou, ici, de cinéma), il ne faut pas avoir peur de s’engager pour eux et de leur redonner leur dignité.

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Portrait d’une vie

Il vaut mieux avoir vu le film pour lire cet article.5 éléphants 1

Svetlana Geier a traduit les « cinq éléphants » de Dostoïevski en langue allemande, cinq « romans-monuments », d’imposants pavés littéraires considérés, à raison, comme des chefs-d’oeuvre. Le regard très bleu et voilé, des rides parcourant respectueusement son visage mélancolique, la femme se déplace le dos voûté. Elle magnétise la caméra, en bon sujet de cinéma. Vadim Jencheyko lui consacre un très beau documentaire qui cherche à répondre à la question que se posent les héros du grand romancier russe : « Qui suis-je? » Une question, finalement, qui taraude l’être humain.

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