Sororie

Une, deux, trois, quatre. Comme celles du docteur March.

Une, deux, trois, quatre. Tous les deux ans, « deux fois deux font quatre ».

Je n’ai que deux mains, et vous êtes trois. Jamais je ne pourrai toutes vous tenir ensemble. En cercle, nous communierons, ou en carré, chacune occupant un côté.

Vos dates de naissance rythment mes années, pourtant à jamais vous restez des enfants, toujours ces fillettes aux âmes de combattants.

Je connais certaines de vos expressions pour les avoir vues réfléchies dans mon miroir, étrange vision que celle de mes traits sur vos beaux visages.

Comme je me plais à répéter la claire chanson de vos prénoms, Alice, Isolde et Juliette, plus aimées que leurs avatars de papier, roman, pièce ou livret.

Dans mes discours, constamment vous apparaissez, mes mots suivent leur cours et dessinent vos silhouettes, mon histoire ne s’écrit qu’avec vos figures pour compagnie.

Indéfinissable lien, pour chacune sans doute je m’invente, et vous êtes aux trois autres une personne différente, la lettre « l », redondante, à nos oreilles revient pourtant.

J’ai parfois juré, croix de bois, croix de fer, de ne plus jamais vous parler, et puis j’ai craché pour rester bien fière.

J’ai assuré, « c’est la dernière fois, on ne m’y reprendra pas », toutefois, le sort dans la durée ne pouvait guère se prolonger.

Si le sang dans vos veines et les miennes ne coulaient pas du même ADN, pourrions-nous partager nos joies et nos peines ?

Aînée, cadette ou benjamine, vos rangs ont été imposés, mes sentiments par contre ne peuvent être dictés.

Des blessures aux brisures, des compromissions aux résignations, des jeux dangereux aux mensonges honteux, malgré tout, toujours, ce doux retour à vous jusqu’à la fin de mes jours.

Si le fil me reliant à toi, ou toi, ou toi, demain se rompait, j’apprendrai à tisser, tricoter, feutrer ou filer, je volerai le secret des trois Parques, je crois que Nona, Decima et Morta comprendraient.

Et si le silence devait s’installer, je sais que vous seriez entre chaque battement de mon cœur, comme un violent coup de toi, et toi, et toi, ma sœur.

Les festivités de fin d’année exigent des listes à constituer, « dis-moi, et toi, pour noël, qu’est-ce que tu voudrais ? »

À mes parents, que puis-je répondre ? 87, 91, 93, trois précieux présents, parfois détestés, jamais haïs, toujours chéris. Trois cadeaux pour toute une vie.

Et puisque le mot n’existe pas, et que fratrie ne nous représente pas, alors inventons sororie.

Une, deux, trois et moi. Mes trois sœurs et moi.

© Béryl Huba-Mylek

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