Le couloir blanc

Ils arrivent dans le couloir blanc,
Elle court derrière et lui devant.

Sa jeunesse brouillée 
Derrière des rides de larmes,

Le long de sa gorge des sanglots tremblants
Remontent
À son sourire tombant,

L’élan de ses jambes
Contre la maudite faucheuse,

Rattraper l’homme
Qui fuit,

Mais 
L’encre du désespoir
Déjà
Noie son regard.

Son visage défait figé dans la stupeur,
Ses yeux fixés sur l’image 
D’il n’y a pas une heure,

Des meurtrissures le long de ses doigts
Qui ont cherché 
Puis aggripé 
Le minuscule vêtement 

Sa course
À bout de souffle
Dans l’écho des pas précipités 
De la femme aimée
Dont il tient aujourd’hui le petit
Contre lui,

Ses bras douloureux
L’enlacent,
Et dans un dernier bercement
Nient encore.

Moins de deux ans après,
Le même corridor,
Dans le fracas des bombes
Est un passage de mort

Et
Dans le vide 
Le bras 
Ballant
De l’enfant.

© Béryl Huba-Mylek

Love is not all

Love is not all: it is not meat nor drink
Nor slumber nor a roof against the rain;
Nor yet a floating spar to men that sink
And rise and sink and rise and sink again;
Love can not fill the thickened lung with breath,
Nor clean the blood, nor set the fractured bone;
Yet many a man is making friends with death
Even as I speak, for lack of love alone.

It well may be that in a difficult hour,
Pinned down by pain and moaning for release,
Or nagged by want past resolution’s power,
I might be driven to sell your love for peace,
Or trade the memory of this night for food.
It well may be. I do not think I would.

Edna St. Vincent Millay

La Mort d’un Chien

oyat

Un groupe tout à l’heure était là sur la grève,
Regardant quelque chose à terre. – Un chien qui crève !
M’ont crié des enfants; voilà tout ce que c’est. –
Et j’ai vu sous leurs pieds un vieux chien qui gisait.
L’océan lui jetait l’écume de ses lames.
– Voilà trois jours qu’il est ainsi, disaient des femmes,
On a beau lui parler, il n’ouvre pas les yeux.
– Son maître est un marin absent, disait un vieux.
Un pilote, passant la tête à sa fenêtre,
A repris : – Ce chien meurt de ne plus voir son maître.
Justement le bateau vient d’entrer dans le port ;
Le maître va venir, mais le chien sera mort.

– Je me suis arrêté près de la triste bête,
Qui, sourde, ne bougeant ni le corps ni la tête,
Les yeux fermés, semblait morte sur le pavé.
Comme le soir tombait, le maître est arrivé,
Vieux lui-même ; et, hâtant son pas que l’âge casse,
A murmuré le nom de son chien à voix basse.
Alors, rouvrant ses yeux pleins d’ombre, exténué,
Le chien a regardé son maître, a remué
Une dernière fois sa pauvre vieille queue,
Puis est mort.

C’était l’heure où, sous la voûte bleue,
Comme un flambeau qui sort d’un gouffre, Vénus luit ;
Et j’ai dit : D’où vient l’astre ? où va le chien ? ô nuit !

Victor Hugo, Les quatre vents de l’esprit