Le vent l’enveloppe de son immatériel manteau dans une étreinte de mère inquiète, tandis que l’océan gronde une sourde berceuse, l’entourant du laiteux linceul que les trompeuses vagues enfantent.
Le temps
Le temps toujours te pousse, tu comptes les secondes alors que les minutes déjà s’empilent, grains de sable tapissant le fond du sablier. Tu imagines ce que tu feras demain, tandis qu’hier s’éloigne d’un mois. Tu voudrais immortaliser un souvenir solaire, mais l’ombre d’un tracas le grignote, et le deuil dont tu aimerais t’envelopper ne résiste pas aux rayons du printemps.
Des ombres crayonnées, esquissées sur un cahier, aux mots mal équarris, inscrits sur des pages jaunies, tu essaies de capter un quotidien fuyant, dont tu n’accordes plus la musique sur ton clavier.
Ton stylo sèche, enfermé dans une boîte ; l’encre attend quelques larmes ; l’inspiration pétille d’étincelles nouvelles. Vaine démarche, essentielle tout de même.
Dissipe les brumes paralysantes, autorise-toi de n’être que l’écho de tous ceux avant toi, et des millions suivants, tous prisonniers du temps.
© Béryl Huba-Mylek
Les toiles
Le soleil dore les toits d’étincelles, couvre d’une brillante peinture les vitres blanches. Les cris des mouettes transportent l’esprit sur les vagues des lointaines marées, par-delà l’horizon rose et froid de cette journée d’hiver. Elle trie ses vêtements. Elle a d’abord dépoussiéré les bibliothèques où s’entassent ses livres, lissé les draps soyeux du lit et frotté le sol sur lequel se détachent des formes rondes. En pliant ses tenues, elle revoit les scènes qu’elle a jouées dans ces multiples costumes. Elle efface du plat de sa main les faux plis comme si elle gommait les souvenirs, mais ils sont finement cousus dans les coutures. Une ombre passe dans le ciel.
La fête des morts
Elle pose la joue sur son épaule, appliquée, ses lèvres fines bien serrées et le regard fixé sur les ciseaux brillants tranchant le papier rouge. De sa main gauche elle immobilise la feuille, de l’autre elle guide patiemment les lames argentées. Une chemise tombe sur ses jambes sagement croisées, minuscule vêtement de poupée.
Cauchemar
J’ai rêvé que nous revenions d’une promenade par la place qu’enfant j’appellais village. Les images finales d’une frappante tragédie se répètent dans mon esprit. En ce tôt matin d’automne, je frémis ; la mort a posé son doigt polaire sur ma poitrine et enfoncé son ongle dans ma chair.
Le départ
Tes yeux glissent, épouvantés, sur les ruines de la capitale sinistrée. T’y attendais-tu ? Je te vois descendre à la gare centrale, la main de ton frère dans la tienne, tu serres ses petits doigts tremblants dans ta paume lisse et blanche. La station était-elle rouverte, les rails fonctionnaient-ils, les trains emportaient-ils enfin d’autres passagers que des condamnés ? Je ne t’imagine pas arriver en voiture. Qui l’aurait conduite ? Un oncle, une tante, un voisin, quelqu’un ?
Sans issue
Il étouffe, il gratte le mur, il veut crier. Pas un son ne sort. S’il hurle enfin, le silence bientôt revient. Il caresse ses joues. Il devient dur, frotte plus fort, violemment. Son visage prend la teinte rouge de la douleur.
Si
En répétant inlassablement ce petit mot, cet adverbe musical prometteur de merveilles, je réinvente le monde et, en quelques phrases, je transforme le réel.
L’appel
Les ondes plissent, étoffe mariale froissée dont l’ourlet glisse sur les roches dures.
Ton frère
Quelque part, tu es à moi. Ou bien tu es comme moi. Quelle différence ? Je suis à toi aussi. Je suis comme toi aussi. Il me semble que ce que tu ressens je le vis, et ce que je vis tu le ressens. Lorsque nos regards se croisent, les pensées s’envolent. Je comprends ce qui se trame dans ton cerveau. Tu perçois la moindre de mes réflexions. Les paroles qui ne tarissaient jamais entre nous sont devenues inutiles. Un geste, un soupir, ou le silence. Et je sais. Et tu sais. Du moins, cela avait toujours été.