J’ai rêvé que nous revenions d’une promenade par la place qu’enfant j’appellais village. Les images finales d’une frappante tragédie se répètent dans mon esprit. En ce tôt matin d’automne, je frémis ; la mort a posé son doigt polaire sur ma poitrine et enfoncé son ongle dans ma chair.
Je t’ai vue trotter devant moi, soudain prise de cette faiblesse qui accompagne si souvent la vieillesse. Les voix de mes parents derrière. Que disent-ils ? Tu te dérègles, cauchemardesque vision, tes pattes se tordent et inerte tout à coup tu tombes sur le flanc.
Je cours à toi et saisis dans mes bras ton corps vidé de substance. Es-tu déjà froide lorsque je te sers contre moi ?
Mon père alors crie. Dans mon oreille résonne cette note dissonante. Ma mère, deux soeurs. Il manque une personne. À genoux, il plonge, comme fou, ses mains devant lui. Un liquide visqueux. Qui du sol jaillit. Encore et encore. Mais d’où vient-il, ce torrent rubis ? Toi tu n’es pas blessée, juste là, sans vie. Ce sang humain est de ma famille.
Je m’accroche à toi qui me quittes encore aujourd’hui. Je le sais en ouvrant les paupières, tu es déjà partie.
Mais dans la maison au coin de cette rue où j’ai grandi, qui donc se prépare à mourir ?
Je lave mes paumes du rouge invisible qui les tache. Je sais les oniriques messages n’être point prémonitoires. Le manteau de la nuit m’enveloppe. Le sable pique mes yeux.
Mais leur quatre voix me hantent. Un déchirement choral que le soleil tout à l’heure chassera peut-être.
J’ai peur de te perdre. Hurle mon sommeil.
© Béryl Huba-Mylek