Sous les ronces entourant ma clairière éclipsée, maître renard s’est faufilé. De loin, il m’observait. Plongée dans mon livre sous un arbre protecteur, je ne remarquais pas l’entrée de cet animal ravageur.
Page après page j’ai tournée, maître renard se rapprochait. Bientôt, ses jappements interrogateurs me firent lever des yeux accusateurs. Tapis dans l’ombre, son museau seul brillait, capturé par un éclat doré. Un moment, je le regardais, l’instant d’après je l’oubliais.
Intrigué, maître renard revenait, quêtant avec avidité mes doigts glissant sous les mots noirs des feuilles de papier. En quelques sauts, le voilà près de moi, sur un nouveau chapitre il pose sa patte, laissant sur l’éclatante page sa ronde trace.
Je fronce les sourcils, quitte mon livre, mes pupilles s’enfoncent dans sa rétine.
Son regard ocre, persistant mais tranquille, pétille de douceur, d’attendrissement, fébrile. Adoucis par un irrépressible sourire, ses glapissements ronronnent, ses canines s’arrondissent.
Je ne sens pas ses griffes s’imprimer sur ma poitrine.
Lorsqu’il repose sous mon soleil, maître renard s’illumine de merveilles. Des étoiles mordorées animent son pelage orangé, des joyaux ambrés pétillent dans ses yeux sombres à l’accoutumée, ses cris paraissent plus doux, sa démarche moins maîtrisée, sa logorrhée déstructurée.
Il dévore la nourriture que je lui donne, il en veut plus, réclame encore, et son regard intrusif dessine les contours de l’être qu’il croit visiter en entrant sur mes terres isolées. Sur sa rétine, je cherche l’image imprimée qu’il veut me renvoyer.
Maître renard creuse des terriers. Ma clairière en est clairsemée. Si je l’attrape il y fuit, si je ne dis rien il revient. Je m’épuise à courir, je me fatigue à attendre, je m’éreinte à comprendre.
Je nous crois liés par la complicité, petit prince apprivoisant le renard roux et passionné. Il se sait promis à son passé et nous masquons la vérité.
Sous les feuillages, dans les ombrages, maître renard grogne, roule sur le sol, gratte de sa patte molle. Son roux manteau ternit, ses desseins s’obscurcissent, ses yeux s’éteignent sous ses paupières alourdies. Loin, dans les sous-bois, il partage sa tanière, se terre, s’altère.
Peu fier, l’hésitant canidé se glisse d’une ombre à l’autre à pas feutrés. Sous mon soleil, il tressaille plus qu’il ne s’éveille. Les rayons de lumière dévoilent ses yeux fuyants. Je le regarde, je l’entends. Mon regard l’habille d’étincelles et je le vêts d’enchantements ne pouvant pourtant plus prendre à présent.
Maître renard évitant ma clairière, les ronces ne brillent plus des poils dorés qu’elles lui arrachaient lorsqu’il passait. Des loups rôdent autour de mon jardin, sombres et mécontents, monstrueux gardiens de la cage ensoleillée dans laquelle plus un couard ne peut entrer.
De morsure il n’y a pas eue. Sur ma peau, toutefois, se lisent les griffures de la maladresse de l’inconséquente bête.
Pauvre renard, pauvre de moi.
Au pied de l’arbre, je me rassois, reprends le livre, calme mes émois.
Page après page, j’ai tournée, et le chapitre est terminé.
© Texte de Béryl Huba-Mylek
J’aime tellement la chanson de tes écrits. C’est tellement beau et tellement triste….
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