Enfant, tu es l’intranquille. Dans ton esprit, toujours, une pensée en chasse une autre, seulement aucune jamais n’est tuée, toutes, elles s’accumulent, s’étouffent mais ne suffoquent pas, survivent et s’agglutinent, se mêlent et s’agrègent, monstrueux amas de questionnements en perpétuel développement.
Ton sommeil toutes les nuits s’alourdit d’ombres inquiétantes, et si Morphée refuse d’amarrer dans les eaux sombres du cauchemar, il s’attarde bien souvent dans les opaques mers sous la nuit noire, loin des apaisantes berceuses des étoiles bavardes. Au brouhaha des idées éveillées s’ajoute le murmure constant des images inventées par ton inconscient déstructuré.
Engourdis et lourds, tes membres se crispent, tes muscles se tendent, une permanente tension nourrit ton corps, sève ardente et brûlante se mêlant à ton sang. Une respiration irrégulière rythme tes journées, suivant le déséquilibre de tes pensées.
Les chimères, pressantes, t’éloignent de la réalité. La vérité, obsédante, te nourrit de ses mensonges. Les images qu’ils se donnent, les masques qu’ils portent, les mots avec lesquels ils jouent achèvent de remuer ta droiture, de questionner ton cœur, de brouiller tes idées.
Intranquille, ta nature est transgression : tu parais ce que tu es, tu donnes ce que tu as, tu vis ce qui t’anime. Tu cherches à combler la distance entre les êtres, les douloureux écarts du cœur, les vides des échanges creux. Tu voudrais sectionner les amers liens enchaînant les existences mais ne reliant pas les âmes errantes.
Iconoclaste enfant, tu les inquiètes, tu les intrigues, tu les ébranles : tu ne respectes pas leur loi. Ils sont les faux tranquilles, toujours accompagnés, mais continuellement seuls, terrés dans leurs excuses, perdus dans leurs contradictions, recyclant des platitudes dont ils se croient les inventeurs. Ils se cachent, ils se briment en criant leur liberté, ils prétendent combler les fossés et s’arment de pelles pour mieux creuser.
Ils jettent sur toi la terre dont leurs pelles s’emplissent. Ils aimeraient t’ensevelir, oublier que tu existes. Tu les rends intranquilles.
Ton regard se durcit. Tu t’approches des ponts que tes mains abîmées essaient de bâtir. Alors qu’ils creusent tu craques une allumette, tu illumines d’un diabolique feu tes efforts pour les atteindre, tu réduis en poussière tout espoir de vous lier, leurs âmes erreront sans la tienne puisqu’ils craignent de s’y plonger.
Des souvenirs, des images, de nouvelles pensées à triturer, à retourner, à disséquer. De nouveaux fantômes pour te hanter. Malgré la fatigue envahissante, la solitude prégnante, tu gardes ton esprit éveillé dans cette perpétuelle intranquillité.
© Texte de Béryl Huba-Mylek