L’aveugle observateur

Le ramoneur et la bergère glissent sur les marches qu’ils dévalent : comme eux tu voles dans les escaliers de peur que l’on t’avale. La fuite en avant te jette dans des bras fuyants, mais tu traverses les corps inconsistants et continues ta quête de diamants.

Des êtres fictifs tentent de saisir ta main, ta folle course t’entraîne souvent trop loin. Parfois tu t’arrêtes et fixes attentivement les zones d’ombre dans lesquelles ils se tiennent sagement. Ton regard peu aiguisé ne les distingue pas encore ; ils ont le temps, ils savent qu’arrive l’âge d’or.

Au détour d’un coin tu découvres un visage, dans le métro quelquefois tu croises un regard. Intensément tu observes, tu gênes, puis tu te souviens qu’autour de toi de réelles personnes se tiennent.

Sombres deviennent tes prunelles lorsqu’avec attention tu examines les petites âmes humaines. Un frisson de dégoût glissant sur des lèvres pincées, un regard lointain perdu dans une autre réalité, un sourire attendri après la lecture d’un message, un air terriblement apeuré devant un bagage, la tendresse d’un baiser sur le crâne d’un bébé. Quelle tristesse que les gestes maîtrisés, quelle beauté que ceux qu’ils laissent s’échapper.

Dans la foule des automates, des morts vivants, des passants, une lumière, une étincelle, un mouvement vivant. Quelqu’un sort de la masse, un éclat spontané, un rire échappé, des larmes vite essuyées, une parole envolée.

Parmi les proches aussi tu guettes ces moments où la magie opère. Derrière le verni lisse une vérité, dans la comédie humaine de belles sincérités. Tu ne peux t’empêcher de chercher partout cet élan de vie que tant ont enfoui.

Toutefois parfois tu te trompes et te laisses manipuler. L’apparence de la mort enveloppe des enchanteurs et de vils usurpateurs empruntent aux autres leur cœur. Plus de battements dans le silence que dans le vacarme dont certains s’arment.

Tu laisses derrière toi le titre d’héroïne, qu’ils s’en emparent s’ils le veulent, se racontent des histoires s’ils le peuvent. Tu dois te saisir de ta plume, écrire comme brillent les rares et derniers descendants de Victor, les amants de Chopin, les héritiers de Blake, pauvres écorchés vifs ne feignant pas les sentiments mais les vivant pleinement. Ce courage ridicule, pathétique et formidable, brûlant les plus fous, tuant les plus malheureux, animant quelquefois les visages de ceux laissant ce qu’il y a de plus grand s’emparer d’eux.

© Texte de Béryl Huba-Mylek

2 réflexions sur “L’aveugle observateur

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