Un matin, au réveil, l’odeur du sel et de la mer lui parvient. Elle cligne des paupières, se retourne dans son lit, prend son oreiller qu’elle serre fort, plongeant son visage dans le duvet moelleux. Il lui semblerait presque entendre chanter les mouettes. Elle aimerait se perdre encore un peu dans le sommeil, seulement elle a quitté l’état particulier mêlant rêves et réalité. Les sens s’éveillent. Il faut se lever. Elle repousse la couette.
Elle a brossé soigneusement ses cheveux, bu son café, lissé les draps sur son lit, revêtu son trench puis est sortie. Elle s’aperçoit seulement dans l’escalier que cela n’est plus. Le poids, là, tout contre la poitrine, battant au rythme de son cœur. Elle s’arrête sous l’effet de la surprise, un instant, un pied suspendu dans le temps, un pied qui devrait claquer sur la marche suivante. Sa main repose sur la rambarde, puis sa paume glisse, ses doigts filent sur le bois laqué, et de nouveau elle est lancée.
Dehors, elle lève les yeux au ciel, un bleu de mai teinté de blanc. Les moteurs roulent leur monotone musique sur les routes, accompagnés dans leur course par de confuses paroles oubliées par les passants pressés. Elle respire les effluves des pâtisseries tapissant les étals des boulangeries, traverse hors du passage clouté, sautille pour remonter sur le trottoir. L’air doux se faufile derrière elle. Chaque enjambée légère le lui rappelle : cela n’est plus.
Le printemps la salue toujours avec son cortège de souvenirs tristes, d’émotions tuées, de deuils insurmontables, d’espoirs anéantis. Une image heureuse s’efface, un fantôme pâle la remplace ; le goût sucré de la joie se fond amèrement dans les larmes. Le poids rejoint le cortège. Souvenir, si lointain déjà, si proche encore hier. Il rejoint les spectres de la mémoire, les pleurs déjà versés ; le temps a passé.
Le soleil réchauffe sa peau avec tendresse, elle avance, elle paresse. Ses yeux tentent d’accrocher l’horizon, loin derrière les immeubles haussmanniens, quelque part au milieu de la foule bigarrée. Elle croit discerner un morceau d’éternité, un carré bleu et vif, océan criant dont le roulement fracassant l’émerveille. Elle sent sur son visage l’embrun marin du ressac de vagues lointaines. Au fond de la gorge, un goût de sel.
Elle plisse les paupières en entrant en pleine lumière. Elle devrait protéger ses yeux. Elle se laisse aveugler. Un instant, rien qu’un peu. Engloutie par l’éclat doré du soleil, elle appartiendrait presque au monde terrestre. Elle sourit. Cela n’est plus. Elle est libre. Le renouveau de l’année a opéré. Le printemps deviendra été.
© Texte de Béryl Huba-Mylek
Que c’est beau et doux ! Une bouffée d’air frais, je vais l’imprimer et le mettre dans ma sale si cela ne te gene pas ? Et dans ma chambre ! xx
C’est tellement limpide, j’aime vraiment énormément !!
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