Lunatique lignée

Enfant, sœur, amie, amante et épouse. Depuis ta naissance, tu me plais. D’abord, je t’ai bercée et tendrement serrée contre moi, imprimant ma pâleur sur ta face. Dans tes yeux, j’ai déposé la folie verte des herbes sauvages et l’inquiétant bleu des ciels d’hiver. Les poètes maladroits dramatisent ta blondeur solaire mais ce sont mes rayons de lumière que j’ai accrochés dans tes cheveux clairs. En remontant dans le ciel sombre d’une nuit de mai, j’ai emporté la moitié de ton âme et tes doigts se sont allongés en tentant vainement de la retenir. Depuis tes yeux brillent de larmes amères.

Nourrie de mes songes envoûtants, petite fille tu capturais l’esprit des autres enfants et le soir sagement me racontais tes récits fascinants en entourant mon cou de tes bras tremblants. Tu apprenais en me contemplant comment fuir les ténèbres et le souffle frissonnant de l’Enfer. Favorite de mes filles, je te confiais rapidement la clé des paradis foisonnant de fictions troublantes et dévorantes.

Puis, tu grandis, et ton regard se durcit. Tu rejetas mon soutien paternel, refusas mes caresses maternelles ; une affection fraternelle te parut acceptable alors j’appris à jouer le rôle d’un aîné. Je te montrais le chemin et tu suivais avec plaisir, mais tes sœurs terrestres t’accaparaient et je perdais mes prérogatives.

Toutefois, moi seule pouvait courir après toi lorsque tu dévalais les marches à t’en couper les jambes, lorsque tu t’allongeais la nuit sur les routes obscures en guettant le moteur des voitures ou lorsque tu retenais ta respiration et sombrais avec délice dans de vertigineux évanouissements. Je fus ta plus grande amie.

Capricieuse enfant, tu as voulu fuir mon influence et trahir ma fidélité. Lentement, tu as descendu l’escalier de nuages te retenant prisonnière de ma volonté. Dans ton lit pourtant, mes rayons toujours se glissent. Tu fuis mes baisers et tes yeux s’attardent dans l’immensité des mers, recherchant un remède au maudit sort que je t’ai réservé. Plus le temps passe pourtant, plus tu sembles résignée.

Silencieuse amante, tu reviens aujourd’hui avec ton trousseau de mariée. Tu me défies du regard, je perçois tes sens plus aiguisés et regrette la douce enfant gâtée m’admirant avec étonnement. Lorsque tu demandes pardon, ta voix tremble de colère et tes yeux deviennent noirs. Toutefois, tu me tends sincèrement ta main aux longs doigts effilés, cherchant encore ce morceau d’âme que je t’ai volé. Tu sais qu’en m’épousant, peut-être, un jour, je te le redonnerai.

© Texte de Béryl Huba-Mylek

2 réflexions sur “Lunatique lignée

  1. Belle variation sur Baudelaire. Un texte qu’on se prend à scander, particulièrement quand la rime s’invite dans la prose. Entre fluidité sonore et syntaxe exigeante.

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  2. Mon commentaire sera bien insipide et banal à côté de Jules mais je suis tout à fait de son avis. Un beau texte qui nous emmène avec lui par ses rimes et son rythme. On le lirait encore et encore.

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