Marietta Ren n’était pas un nom connu dans le monde du 9e art avant d’émerveiller le dernier festival d’Angoulême. Elle s’est d’abord illustrée dans le monde de l’animation, après avoir fait ses études aux Gobelins dont elle est sortie diplômée en 2007. Ayant participé au long métrage Ernest et Célestine sorti en 2012, et plus récemment à Avril et le monde truqué, Marietta Ren aurait pu faire de Phallaina un dessin animé. Toutefois, seule, l’entreprise lui paraissait laborieuse. Elle a alors inventé un nouveau dispositif qui lui permettrait de raconter sa poétique histoire sans l’enfermer dans la rigidité du dessin figé : la « bande défilée » est née.
Phallaina est produite par le département « nouvelles écritures » de France Télévisions. L’application peut être téléchargée gratuitement en ligne dans les boutiques Apple et Google, pour une lecture numérique sur tablette et smartphone. Toutefois, l’œuvre a également été exposée sous la forme d’une immense fresque de 115 mètres de long entre des arbres, survolant le fleuve Charente.
Marietta Ren raconte l’histoire d’Audrey, une jeune femme fragile sujette à des crises hallucinatoires presque fantastiques : chaque fois, elle est comme hantée par de gigantesques baleines. Un neurologue lui propose de participer à des essais cliniques afin d’en apprendre plus sur une anomalie rare qu’il a pu détecter dans son cerveau et pourrait expliquer la cause des visions d’Audrey. Cette dernière accepte, mais finit par s’isoler de plus en plus dans l’hôpital où elle s’installe bientôt.
Si la science tient une place particulière dans cette œuvre étonnante, le mythe s’invite également avec grâce : Audrey est fascinée par l’histoire des Phallainas, créatures nées de l’amour des hommes et des baleines. Est-elle une des descendantes de ces êtres inquiétants qui apparaissent parfois dans ses visions ? Au lecteur de choisir. La force du récit tient à l’équilibre parfait entre réalité et imaginaire. Souvent étrange, il peut devenir terrifiant, mais touche toujours par sa singularité poétique et lyrique.
Marietta Ren avait d’abord commencer à dessiner sa bande dessinée sur papier, à la manière d’un rouleau japonais. Ainsi, les cases blanches séparant habituellement les vignettes n’avaient pas leur place. Surtout, pour donner cette impression incroyable de plonger avec Audrey dans ses hallucinations, il fallait que les images puissent défiler sans cesse, sans coupure, se mêlant presque quelquefois. Le frère de la dessinatrice lui a donc composé une « ligne de code » qui permet aujourd’hui au lecteur de lire numériquement Phillaina, en glissant simplement l’index sur l’écran de la tablette ou du téléphone.
Si Marietta Ren propose une narration innovante en symbiose avec notre époque de petits écrans, elle n’en offre pas moins une histoire exigeante, qui prend son temps et ne dévoile jamais tous ses secrets. Surtout, la lecture n’est guère rapide : il faut bien deux bonnes heures pour profiter pleinement de ce voyage en eaux troubles, où les images s’enchaînent dans un fondu presque marin. L’œuvre n’est pas simplement visuelle ou tactile, mais également auditive, puisque des bruitages et des musiques accompagnent le récit. Parchemin numérique, Phallaina mêle habilement science et mythe, nouveauté et tradition.
Fragile et particulière, Audrey est une héroïne pleine d’une tendre tristesse. Elle touche par sa délicatesse et sa soif de liberté. Le récit de Marietta Ren s’inscrit dans la lignée des contes de l’Élu, dans lesquels les héros espèrent ou découvrent que leur sentiment d’être différent s’explique par un passé mythique et extraordinaire. Inquiétantes tout au long de l’histoire, les baleines qu’Audrey fuit sont porteuses d’un message d’espoir et de paix. Sans doute le dispositif de lecture inventé prend-il tout son sens lorsque l’index ne caresse plus seulement l’écran, mais également cette peau blanche du monstre marin qui apporte enfin à Audrey la sérénité qu’elle a tant cherchée.
Phallaina peut surprendre par sa noirceur, toutefois la lumière perce toujours. Après les stridents sons des crises viennent les douces langueurs des vagues. Audrey, jeune fille qui se cherche, doit apprendre à s’accepter et s’aimer comme elle est. Le lecteur aurait tort de se priver de cette plongée simple et intuitive, superbement illustrée, dans la psyché torturée d’un être en quête de paix.
© Béryl Huba-Mylek
Vous pouvez télécharger gratuitement et lire cette belle œuvre sur vos appareils tablettes ou vos smartphones en cliquant sur le lien suivant :
Tu avais peut-être déjà vu, mais elle touche à plusieurs choses. Je préfère de loin Phallaina, plus beau, original et ambitieux comme projet, mais intéressant de voir ses travaux plus anciens/modestes et le passage à « un niveau supérieur ». Inspirant.
Très curieuse de voir quels seront ses prochains projets, si elle continuera sur cette lancée ou changera complètement de support.
http://www.patateofeu.com/?
https://mariettaren.com/
Ayant vu/lu Phaillaina avant, ça fausse peut-être, mais je pense que cette critique permet de se faire une idée claire du dispositif. Ce dont je suis sûre, c’est qu’elle transcrit bien les impressions/émotions qu’on peut avoir/ressentir lors de la lecture !
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Je vais voir cela !
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