Admiratrice de Marguerite Duras, Virginia Woolf ou encore Anaïs Nin, elle cherche à atteindre une écriture dénuée de fioritures, forte et vraie, puissante et juste. Quand les colombes disparurent, son dernier roman, ne convainc qu’à moitié, justement car il s’éloigne de cette brutalité sèche et poignante, qu’on trouve par moments dans Baby Jane, mais surtout dans Les Vaches de Staline et Purge.
Dans ces deux romans, Sofi Oksanen traite des blessures transmises d’une génération à l’autre. L’auteure nourrit son œuvre de la relation entre ses deux pays d’origine : la Finlande et l’Estonie, lorsque cette dernière était encore sous le contrôle de Moscou. Elle dénonce le colonialisme russe, destructeur et avilissant, tout comme le capitalisme occidental, avide de la chair fraîche des femmes blondes de l’Est. La rencontre de Zara avec sa vieille tante Aliide ou encore la relation qu’entretiennent Katariina et sa fille Anna, révèlent les marques que l’Histoire imprime dans les esprits, mais également sur les corps.
En effet, les héroïnes de Sofi Oksanen ont été bafouées et meurtries. Zara échappe aux hommes qui l’ont réduite à la prostitution et la pornographie pour retrouver Aliide, une tante au passé trouble victime de viol pendant la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu’elle regarde au plus profond des yeux de cette nièce dont elle ignore encore l’identité, Aliide reconnaît avec effroi ce qu’elle préférerait oublier : l’altération définitive du corps. Cette idée hante l’œuvre de l’écrivaine finlandaise. Une fois avilie, une fois atteinte dans son intimité, la femme vit dans la hantise d’être un jour reconnue pour ce qu’elle croit être : un être profané.
Dans Les Vaches de Staline, Anna ne cesse d’engloutir des aliments qu’elle vomit ensuite. Sujet sensible, Sofi Oskanen traite de l’anorexie boulimique avec une grande adresse, évitant de sombrer dans le glauque ou le voyeurisme. Elle plonge le lecteur dans l’esprit mécanisé d’une malade qui ne se reconnaît pas comme souffrante : au contraire, son corps maigre, musclé, lisse et doux est source de fierté. Elle joue un rôle, celui de la fille de l’Est magnifique rendant fou de désir les lubriques hommes de l’Ouest. Fantasme incarné, elle sait toutefois qu’elle s’est fabriqué une armure qui n’a rien à voir avec elle. Objet, femme-objet, sans désir, sans âme véritable. Aussi meurtrie que sa mère Katariina, ayant donné son propre corps en mariage dans le but de fuir cet Est dont elle ne pourra jamais vraiment s’échapper.
Souvent dure, la langue de Sofi Oksanen heurte parce qu’elle dévoile sans concession les démons tabous de l’Histoire. Elle redonne leurs voix à celles qu’on relègue trop souvent au rang de « victimes », terme qu’elle refuse d’imposer à ses personnages. Elle dénonce un crime, celui de croire que le corps des femmes ne leur appartient pas. Le viol, la prostitution, la pornographie ou encore le diktat du corps parfait les emprisonnent toujours. Une rage gronde dans son œuvre, sourde et profonde, une rage qu’elle transmet à ses êtres de papier auxquels elle rend leur dignité. Une véritable purgation par l’écriture.
© Béryl Huba-Mylek
À lire
Purge, Sofi Oksanen, Éditions Stock, 2010
Les Vaches de Staline, Sofi Oksanen, Éditions Stock, 2011
Baby Jane, Sofi Oksanen, Éditions Stock, 2014
Lectures qui ne s’annoncent pas particulièrement joyeuses, mais je note donc Purge et Les vaches de Staline sur ma liste !
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