Attention, article polémique.
Sur la couverture de la revue britannique Granta, numéro d’automne 2015, se lit un titre tristement apocalyptique : What have we done. Ce n’est pas une question. C’est un constat. Une forêt de sapins rouges et jaunes incandescents, quelques-uns encore blancs et purs, cachent une monstrueuse tête de taureau aux yeux rouge sang. De grosses araignées sombres surgissent aux pieds des arbres et se dirigent vers le lecteur. Apocalypse.
Cette apocalypse aura-t-elle lieu ? La nature prendra-t-elle un jour sa revanche sur l’espèce humaine, ce parasite qui lui a causé plus de mal qu’aucune autre créature vivante ? La « nature » ? Peut-être pas. Qu’appelle-t-on « nature » ? La faune et la flore uniquement ? Tout ce qui était avant les inventions humaines ? Les animaux ne se révolteront pas ; nous avons de toute façon les armes pour les écraser. Les arbres ne se réveilleront pas, accompagnés d’une horde de buissons et de fleurs, contre leurs oppresseurs. C’est pas Le Seigneur des anneaux ici. Que peut la nature ? Elle peut les ouragans, les tremblements de terre, les tempêtes, les tsunamis… Elle peut les « catastrophes » dont les populations les plus pauvres sont souvent les plus victimes. Mais elle ne peut rien qui attaque uniquement l’Homme, ne décime que l’Homme… La nature ne nous vaincra pas. Nous la vaincrons. Nous le faisons très bien. La « nature » n’est pas un tout qui pense, prêt à s’organiser, à se révolter, à nous punir.
Le temps, peut-être. Le temps, et l’immuable « cycle de la vie ». La vie, peut-être, nous vaincra. Le réchauffement climatique est bien là, et même si nous tremblons davantage des horreurs à visage humain, il est plus nocif pour nous qu’une bande de fous. La prochaine ère glacière arrivera-t-elle plus tôt pour pallier à ces températures torrides ? Mais les hommes, sans doute, peuvent survivre au plus grand des froids. Ils ont l’ingéniosité pour cela.
L’extinction humaine serait sans doute terrible. De nombreux enfants, de nombreuses femmes, de nombreux hommes peuvent servir d’exemples aux humanistes. Mais pensons un peu aux « autres ». Une seule race animale s’est imposée. Une seule. Les conséquences pour toutes « les autres » sont dramatiques. Les vrais autres, pas l’autre homme que tu n’arrives toujours pas à accepter comme ton semblable. L’Autre. L’Animal.
Et puis, le meilleur des hommes a une voiture. Un ordinateur. Un smartphone. Autant d’objets qui, pour exister, ont besoin de la destruction de la « nature », ce « tout » indéfinissable. Oh, bien sûr, il serait vain de remettre en question ces appareils. Ils sont prodigieux. Nous l’avons déjà dit, l’ingéniosité humaine dépasse l’entendement. L’être humain est, profondément, fondamentalement, incroyablement génial. Cependant, il n’est pas très intelligent. Non, l’Homme est même assez profondément idiot. Même carrément débile.
Comment justifier autrement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ? La négligence ? Oh… non. La bêtise. La bêtise crasse de celui qui est incapable de s’accorder des limites. L’immense sottise de celui qui estime qu’une limite, c’est une prison. L’ânerie monumentale de celui dont l’ego dévore tout. Absolument tout. Ils le disent :
- « Mais te rends-tu compte de ce qu’on peut faire ?! »
- « Mais ne vois-tu pas ce que nous faisons ?! »
- « Mais les hommes sont tellement incroyables ! »
- « Mais on défie les lois de la nature ! »
- « Mais on va plus loin que la nature ! »
- « Mais nos intelligences artificielles sont remarquables ! »
- « Mais le cerveau de cet homme ! »
Émerveillée longtemps par l’Homme, j’ai fini par trouver sa cécité et son hypocrisie bien plus impressionnantes que toutes les inventions qui servent aujourd’hui à certains pour défendre l’espèce humaine. Ma cécité, mon hypocrisie comprises.
Nous avons pu tellement, nous pourrons encore tellement, sans doute au-delà de ce que mon faible esprit imagine. Mais sans limites. Sans aucune limite. Nous nous en moquons. L’Homme n’a pas d’éthique.
L’homme est un animal. Oui. Oui ? Un animal fort différent des autres alors. L’homme n’est plus vraiment un animal. Il a quitté le règne animal. Et il a pris la couronne du lion, de l’ours, du tigre, du requin… Soyons sérieux. Quel animal résiste à nos balles ? Tous des pantins. S’ils existent encore, c’est parce que nous le voulons. Décidons demain d’anéantir les loups, nous le ferons. Bien sûr, ils sont revenus. D’ailleurs, nous en tuons encore aujourd’hui. Rendez-vous compte, des loups qui mangent nos moutons ! Non !
N’oublions pas de tuer les lapins quand il y en a trop. Sales bêtes. Comme les marsupiaux en Australie. Il faut RESPECTER la faune et la flore. Toutefois s’il y a trop… tactactactactac. On élimine.
Les hommes… Oh ! Quelle pensée ! L’homme est sacré.
Pourquoi ?
Chacun sa réponse.
Il faut dire, pour arrêter de cracher sur sa propre espèce, que les animaux sont vraiment trop bêtes. Ces poulets qu’on décapite à la chaîne, sérieusement, ils sont INCAPABLES de se rebeller ! Ils n’apprennent pas la leçon ! Chicken run c’est bien mignon, mais dans la réalité un poulet c’est juste bien con. D’ailleurs, Romain Gary pouvait s’identifier à tout, sauf à un poulet. C’est pour dire. 58 110 000 000 poulets tués en 2011. Et alors ? On s’en fout. Sont vraiment, vraiment trop cons. Puis les nuggets, c’est trop bon. Sérieusement, je ne vais pas penser à comment c’est fait. Je ne vis qu’une fois. Faut bien que je profite. Je le trouve où, le goût de cette bonne viande bien aseptisée trempée dans la friture dégueulasse de MacDo, à part dans un bon fastfood qui paie une somme ridicule le massacre d’un poulet trop con ? Soyons sérieux, voyons. De toute façon, que je le paie plus cher, ce massacre, ça changerait quoi ? Le poulet serait toujours mort, non ?

Les canards… Oui, les canards c’est un tout petit peu plus mignon. Mais « coin coin », « coin coin »… J’ai dit : « Soyons sérieux ! » 2 817 000 000 canards tués en 2011. Et alors ?
Le cochon… Oui, il paraît que c’est intelligent. Plus que Médor, mon fidèle chien que j’ai acheté dans un super magasin d’animaux qui traite merveilleusement bien ces boules de poils pour lesquelles je paie des sommes faramineuses car un chien de pure pure race c’est trop trop classe. Puis mon chien pure pure race, il a besoin de croquettes pure pure race, d’un toilettage pure pure race, d’un coussin pure pure race, d’un concours de beauté pure pure race, d’un jouet pure pure race… Les croquettes pure pure race surtout, avec de la pure pure viande pourrie d’abattoirs industriels, comme mon chien l’aime. Bref, le cochon… Certes petit, encore, oui, certes, c’est assez mignon… Seulement quand même, un porc reste un porc. Il « sent la peur » en allant à l’abattoir ? Mais soyons sérieux ! Le jambon il sent la peur peut-être ? C’est bon le jambon, en plus. Non mais, on vit qu’une fois je te rappelle. Je le trouve où, le goût du cochon grillé, moi ? 1 383 000 000 cochons tués en 2011 ? C’est pas moins en 2016 ? Et d’ailleurs, tu les tires d’où tes chiffres ? T’es sûre ?

Les oies et les pintades (649 000 000 tuées en 2011) et les dindes (254 000 000 tuées en 2011) faut être sérieux, c’est comme les poulets un peu, non ? Débiles. Cons, quoi.
Les moutons c’est mignon oui. Mais « bêêêêê » quoi… 517 000 000 tués en 2011 ? Ah bah c’est moins déjà ! Les chèvres (430 000 000 tuées en 2011) sérieusement je me sens pas concerné, j’en mange pas.
Les bovins regarde c’est vachement moins ! 296 000 000 seulement en 2011 !
Hein, les poissons ? Sérieusement ? Les fruits de mer ? Tu comptes ça dans les animaux ? Mais sérieusement on s’en fout du saumon non ? Ça tu vois, c’est vraiment un animal trop con.
Les fonds marins ?
Euh t’es sûre que les filets des pêcheurs sont aussi longs que du sol à la couche d’ozone ? Tu crois vraiment qu’on attrape des dauphins et des baleines dans les filets et qu’on les rejette à l’eau ensuite ? Blessés ? Mais tu as lu ça où déjà ? T’es un peu extrémiste, non ?
Non, le chat et le chien, c’est spéc’ quand même. Faut être taré.
Ouais mais la corrida, c’est une tradition aussi.
J’adore les chevaux. Bien sûr. Bah mon cheval m’aime oui. Hein, la selle ? Bah ça, ça lui fait pas mal. J’ai mis un petit tapis en-dessous.
Tu te rends compte ?! Le type a payé pour faire sortir le lion, et après il l’a traqué, blessé, tué… Pendant des heures ! Mais c’est horrible ! C’est franchement dégueulasse.
Les abattoirs industriels, c’est pas dégueulasse par contre.
Le fromage ? La quoi ? Présure animale ? C’est quoi ?
Ouais enfin tu portes du cuir !
Ah non ?
Ouais mais tu peux pas tout savoir ! Puis tes vêtements tu crois qu’ils font souffrir personne ? Tu crois que tu vis pas sur le dos d’autres gens ?! Hé, ho, pas folle la guêpe !
Heureusement, certains hommes sont moins hypocrites. Tous les animaux peuvent être mangés. Le chat, le chien, le beau dauphin, le fier lion, l’ours fort… C’est tout de la viande sur pattes. Heureusement, certains hommes ne vont pas brandir des pancartes pour dénoncer l’engloutissement de magnifiques chevaux dans des bouches humaines. Si le cochon on peut, pourquoi pas le cheval ? Noble ? Hein ? Mais, euh, les animaux ils s’en foutent de ça, non ?

Un animal pense-t-il ? Apparemment, s’il pense, peut-être peut-on éventuellement réfléchir à la question…
- « Je comprends, à la limite, pour les vaches ou les cochons… Mais bon un saumon… »
- « Une moule ! Sérieusement, une moule ! »
- « Tu veux pas en manger juste de temps en temps ? »
- « Mais pour une fois qu’on va dans un bon restaurant ! C’est bon, c’est pas en mangeant une crevette que tu vas crever… Une crevette ça pense peut-être ? »
- « C’est un peu chiant quand même de choisir un restaurant avec toi. »
- « Ah ouais, et les enfants chinois qui bossent pour 1 euro de l’heure, tu fais quoi pour eux ? »
- « Et les carottes, ça vit pas peut-être ? »
- « Ah, ah, et si la vache elle se sacrifie, tu veux bien la manger par contre ? »
- « Mais attend, naturellement, l’Homme mange de la viande. »
- « C’est pour rester mince ? »
- « T’es chiante en fait. »
On a perdu le fil. Alors, ça pense, un animal ?
« Déjà qu’on traite mal son prochain… On pensera peut-être aux animaux plus tard. »
Mais plus tard, il sera trop tard.

Maladroitement, en s’appuyant fortement sur un discours culpabilisant, simpliste et plein d’espoir, Jacques Perrin et Jacques Cluzant rappellent dans Les Saisons ce que fut le règne de la forêt et des animaux, avant le règne humain que nous connaissons bien. Les images, splendides, magnifiques, incroyables, n’épargnent pas la violence proprement animale du loup ou du lynx qui chassent parce qu’ils ont faim. Parce que s’ils ne tuent pas, ils meurent.
« Naturellement, l’Homme mange de la viande. »
Qu’y a-t-il de « naturel » dans la façon dont nous mangeons aujourd’hui de la viande ?
« Naturellement ».
Qu’y-a-t-il de « naturel » dans la façon dont nous traitons les animaux ? Les animaux domestiques, les animaux sauvages, les animaux d’élevage ?
« Tu veux retourner à l’état naturel peut-être ? Sérieusement, t’es pas vraiment une aventurière, tu tiens pas deux jours dans la forêt ! »

La plus belle scène, dans Les Saisons, est celle d’une chasse. Ce n’est plus la horde de loups qui crèvent la dalle et, avec une férocité que l’Homme associera à de la cruauté, sépare du troupeau un cheval pour l’attaquer, ou se jette sur un pauvre sanglier abandonné. Non, ce n’est pas non plus le lynx dont l’estomac crie famine qui déchiquette la biche. Ce sont des chiens, de beaux chiens qui galopent gentiment aux côtés de chevaux bien dressés. Leurs têtes « mignonettes » et proprettes ne disent pas le besoin de manger, manger, manger. Non, ils sont sages. Ils n’ont pas faim. Ils ont eu leurs croquettes. Pure pure race croquettes. Ils ne chassent pas pour eux. Ils chassent pour le maître. Le Maîîîîtreuuuh. Une dizaine d’hommes sur des montures à moitié aveuglées. Une bande de chiens entraînés. Et un cerf. Un seul. Encerclé. Emprisonné. Qu’on va tuer.
Pour le manger ? Car on a très très très faim ?
Non, pas vraiment.
Un trophée.
Les poulets, les cochons, les vaches… Ils se laissent tuer, non ?
Preuve de leur bêtise : nous, nous créons des ordinateurs.
Eux, ils sont toujours à l’âge de pierre.
Extinction des animaux ? Fallait qu’ils soient plus malins que nous.
Moi, j’ai inventé le vaccin, que j’ai testé sur l’animal d’abord. Il s’est laissé faire. Ouais, c’est vrai. J’ai un peu dérapé. La vivisection au XIXe siècle, quand je sectionnais tout ce que je pouvais d’un chien ou d’un cheval dans une cour pleine de futurs médecins pour m’entraîner… Oui, je sais, l’animal était vivant… Toutefois c’est terminé ! Nickel chrome ! Aujourd’hui, le chien est mon super ami ! Et s’il m’agace, la SPA s’occupe de lui. Cool. Et le cheval… Parfois il finit en conserve. Toutefois, je te rappelle qu’il peut être héros de cinéma. Cheval de guerre, de Spielberg, ça te dit rien ?
Bref. Passons. J’ai apprivoisé le feu. LE FEU. Tu as déjà montré du feu à un chien ? Tu veux me parler du poulet, mais tu as déjà vu un poulet devant une flamme ? Une VRAIE flamme ?
Je me reconnais dans le miroir, le chimpanzé aussi, mais moi je parle, et je m’arrête pas au niveau « 5 ans ».
Je vais dans l’espace ! Tu me parles de la fin de la planète Terre, mais tu crois que je suis un dinosaure ou quoi ?! Je serai déjà loin, à la prochaine ère glacière ! Tu suis un peu les vraies révolutions scientifiques ?! Voyage dans l’espace touristique bientôt ! Pas juste l’astronaute ! Si t’es riche, tu pourras ! Un jour, même pour rien, tu pourras. Je vais coloniser l’univers et tu voudrais, quoi, que je regarde un cochon dans les yeux et que je me dise « pourquoi j’ai fait ça ? » Sérieux ?

Sérieux. Je te demande pourquoi tu ne te reconnais pas dans l’animal. Je te demande pourquoi tu ne te mets pas à sa place. Je te semble absurde ? Tu me parais invraisemblable.
C’est beau, les animaux. En photo. Dans Princesse Mononoké. Quand ils parlent et se comportent comme nous.
D’ailleurs, tu me parles de faire quelque chose pour le cochon et le poulet. Mais tu te crois dans Zootopie ? Tu penses que les animaux ils sont comme toi ? Ils veulent le Bien, tout ça ? Le lion il s’en fiche de toi. Il te bouffe s’il peut. C’est chez Disney que les animaux sont pas benêts. C’est chez Disney qu’ils vivent en paix. Un lapin et un renard, tu y crois, toi ? Tu vis chez les bisounours en fait. Hein ? Un ours blanc c’est pas sympa tu sais. C’est pas gentil. Ça mange sa proie VIVANTE ! Et après, moi je suis un barbare ?! Et je te rappelle aussi que tu lis plus de livres que moi. Qui déforeste l’Amazonie ? C’est pas moi !
Je te demande : pourquoi tu n’as pas d’empathie pour autrui, pour les autres, les vrais autres ? Les animaux ? Je te demande pourquoi tu choisis une espèce pour laquelle tu as de l’empathie, et pas toutes ? Je te demande, c’est quoi la différence, la vraie, entre ton chien et celui du voisin ? Entre le chat et le cochon ? Entre le cerf et le poulet ? La différence, c’est pas toi qui l’inventes ?
Oui, tu peux aller dans l’espace. Tu peux soigner des maladies autrefois dites incurables. Tu inventes des outils que je n’ai pas la capacité de comprendre. Tu fais le meilleur, tu fais le pire. Mais, massivement, aujourd’hui, vis-à-vis de la nature, vis-à-vis des animaux, c’est le pire. Tu me parles de « naturel ».
C’est naturel, un chiot qu’on enlève au bout de deux mois à sa mère, pour le mettre dans une cage en verre et que tu trouves joli, et que tu élèves loin de ses congénères, dans un monde d’humains ?
C’est naturel, un chat qui vit entre quatre murs et sort deux/trois fois par jour sur le balcon ?
C’est naturel, un animal qui vit dans un bâtiment qui pue la mort toute sa vie, sans pouvoir bouger, copuler, chier normalement, même ?
C’est naturel, une machine qui décapite des poulets à la chaîne ?
Tu imagines Les Temps modernes dans un abattoir industriel ? Ça pourrait être très drôle, ceci dit. Noir, mais drôle. Imagine.
Tu me dis, avec un sourire goguenard :
- « Tu as trop de convictions. »
- « Tu as de drôles de convictions. »
- « Ça doit être fatiguant. »
- « T’es mignonne. »
Tu me dis : « Et le reste ? »
Tu me dis : « Et les humains, tu t’en fous ? »
Tu me dis : « Ouais enfin t’es pas parfaite, tu pollues la planète, tu te crois mieux peut-être ? »
Tu me dis : « Ça sert à rien. T’es toute seule. T’as aucun impact. Donne plutôt de l’argent à des associations. »
Ton argent a plus d’impact que mon refus de vivre de l’asservissement des animaux ? Je donne de l’argent aux associations qui se battent pour eux, et je vais manger à MacDo ? Des nuggets bien trempées à la sauce sanguine de la mort industrialisée, s’il-vous-plaît ?
« Ok… Mais la viande bio ? » Tu sais, je pense, puisque tu remets toujours en question mes chiffres, mes informations, mes sources, donc que tu dois toi-même être très calé sur le sujet, tu sais, disais-je, que « biologique » peut vouloir dire « l’animal mange biologique », et pas « l’animal a vécu libre et heureux jusqu’à un âge très avancé où il est mort en pleine santé pour que sa douce et tendre chair te soit proposée » ?
Les yeux suppliants du chat dans Shrek font craquer tout le monde, ou presque. Et dans Chicken run quand même on verse une larme. Hé oui, Zootopie, un peu lourd, pas très subtil, on s’est bien marré quand même, mais « soyons sérieux ».
Je suis très sérieuse. Je ne te demande pas de ressentir ce que le coq peut ressentir. De penser ce que le cochon peut penser. D’imaginer ce que la vache imagine. Je ne te le demande pas. Tu n’en es pas capable.
Je te demande comment tu peux être si fier de me dire qu’une moule n’est qu’une moule ? Je te demande comment tu peux être si prétentieux quand tu me parles de ton intelligence comparée à celle du porc ? Je te demande comment tu peux être aussi insensible quand on te parle de l’hécatombe annuelle grandissante des animaux d’élevage ? Je te demande comment tu peux croire que tu es évolué quand tu es incapable de faire preuve d’empathie à l’égard d’un poulet, parce qu’un poulet c’est « juste con » ? Quand tu es incapable de développer une éthique à partir du moment où ça empiète sur ton petit confort personnel ? Pourquoi tu es obligé de me renvoyer à la figure mon imperfection plutôt que de juste contempler un peu la tienne ?
L’empathie est une chose. Ce n’est pas grave si tu ne te mets pas à la place de l’animal.
Mais l’éthique ? L’éthique, c’est autre chose.
L’empathie, c’est animal.
L’éthique, c’est toi. L’éthique, c’est humain. L’éthique, c’est le progrès.
Alors ?
Je sais, pas de limites. Car tu es crétin.
Mais si je te demande d’être intelligent. Alors, l’éthique, elle est où ?
T’es fier d’être humain ?
Dans les abattages industriels, la fierté, elle est où ?
Dans tes réponses ironiques, cinglantes, blessantes, égoïstes et simplistes, ta fierté, elle est où ?
Dans ton smartphone. C’est vrai. Il est beau, ton smartphone.
© Béryl Huba-Mylek
Les chiffres du nombre de morts dans les élevages industriels sont tirés de The Meat Atlas, 2014.
À lire / à voir
Faut-il manger les animaux ? Jonathan Safran Foer, 2009.
La Douleur des bêtes : La polémique sur la vivisection au XIXe siècle en France, Jean-Yves Bory, 2013.
« Books », N°58, dossier « Le vrai scandale de la viande », octobre 2014.
Les Saisons, Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, 2016.
Chicken Run, Nick Park et Peter Lord, 2000.
Zootopie, Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, 2016
Tristesse…
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