Critique écrite dans le cadre du Festival « Livres en Tête », qui se déroulera cette année du 25 au 28 novembre 2015.
Cécile Coulon a déjà publié plusieurs ouvrages, dont Le roi n’a pas sommeil, prix Mauvais Genres France Culturel / Le Nouvel Observateur en 2012. Le Cœur du pélican n’est pas son coup d’essai, et elle s’attaque à un sujet difficile, celui de l’homme sacrifié à ses fans, du sportif érigé en icône avant sa chute, et oublié ensuite. Ses références sont lourdes : le héros porte le nom d’un saint, et le titre rappelle le poème de Musset « Allégorie du Pélican ». L’auteure elle-même cite, dans une interview pour France Culture, les tableaux de Moyen Âge où un pélican s’arrache le cœur pour nourrir ses petits.
Anthime est adolescent quand il commence à courir. Il le fait si bien qu’il devient le héros du lycée, la star, le roi. Certains critiques, comme l’auteure l’avance elle-même, ont insisté sur la rage de vaincre du jeune homme, le besoin de courir pour exister, pour survivre. Son talent l’a intégré à la communauté de la petite ville dans laquelle il a emménagé. Il est devenu un symbole, une sorte de dieu même que les autres appellent « Pélican ». Aimé et adulé, Anthime va tout perdre le jour où il s’étalera au sol en pleine compétition : le respect, la possibilité d’une relation avec la belle Béatrice, l’espoir de devenir un surhomme. Il va finir marié à Johanna, femme ratée maigrichonne et médiocre, qui bien sûr deviendra une épouse insupportable, une mère détestable, un personnage qui tout entier mérite d’être abandonné par son bedonnant de mari, qui décide du jour au lendemain de reprendre du service.
Cécile Coulon n’est pas dénuée de qualités littéraires. Toutefois, son dernier roman manque cruellement de ce « cœur » que le titre promet. Comment ressentir de la tristesse pour l’histoire avortée entre Anthime et Béatrice, quand les deux jeunes gens n’ont pour se plaire que leurs physiques ? Comment soutenir un couple qui rejette la responsabilité de leur échec amoureux sur la ténacité de la voisine Johanna, sans jamais se battre l’un pour l’autre ? Comment trouver Anthime héroïque, quand tout semble lui arriver par hasard ? Comment apprécier le trio qu’on nous assure supérieur et différent, quand Béatrice, Héléna et Anthime sont imbuvables ? Comment trouver du cœur chez des personnages caricaturaux ? Car oui, les personnages sont caricaturaux.
Cécile Coulon se moque à plusieurs reprises des adolescents, de leurs petites histoires de lycée, de leur acné, des séries américaines qu’ils regardent et de la nourriture grasse qu’ils avalent. Elle ne semble pas se rendre compte qu’elle a fait de ses personnages principaux des clichés sans chair, vidés de sang, de substance, dignes des fictions adolescentes où les êtres beaux et superficiels règnent sur leur petit monde avec une inhumanité exemplaire. Elle aborde plusieurs pistes littéraires, mais n’en exploite aucune. Que faire de la relation presque incestueuse entre Anthime et sa sœur Héléna, qui reste ébauchée et presque mal assumée ? Qu’est-ce que cela apporte au récit ? Quel est vraiment le lien entre la sœur et Béatrice ? L’auteure insiste sur cette analogie, les deux femmes se sont reconnues et appréciées dès leur adolescence. Mais cela ne sert pas l’histoire (à part pour souligner qu’ils sont tous trois supérieurs aux autres, merci, on avait compris). Pourquoi suivre Béatrice après sa rupture avec Anthime d’ailleurs ? Son parcours n’apporte rien au « sacrifice » d’Anthime. Et cette explosion de violence d’Anthime sur un jeune garçon ? Incompréhensible.
Plus problématique : le caractère sacrificiel d’Anthime s’apparente plutôt à un profond égoïsme. Plusieurs lectures possibles du texte ? On pourrait l’admettre. Mais le roman n’est pas assez ambitieux pour cela. Anthime n’est ni courageux, ni impressionnant, ni, surtout, héroïque. Il se montre le plus médiocre des personnages de l’histoire. Il se cache de sa femme, il quitte son foyer et rejoint sa sœur, Héléna, qui devient sa complice dans un projet pour lequel le lecteur ne se passionne guère. Anthime va courir de nouveau. Et alors ? Il fuit, constamment, tout, et cherche sans cesse à être soutenu ou épaulé. Par Héléna, par Béatrice, par Johanna quand il se croit abandonné. Anthime ne se sacrifie pas pour les autres. Les autres ne le sacrifient pas non plus. Il a simplement besoin d’être, non pas aimé, mais adulé.
On pourrait toutefois s’intéresser au roman si l’écriture ne péchait pas par moment. Certaines formules sonnent terriblement faux, à l’image de cette reprise de l’expression « une poigne de fer dans un gant de velours » pour décrire Béatrice. Une fausse bonne idée. La redondance des scènes fatigue. Certes, il existe parfois une fluidité agréable, les scènes d’entraînement sportif proposent quelques jolies tournures. Mais le lyrisme ? L’amour pour les personnages, ou au moins l’intérêt véritable pour eux ? L’amour de l’histoire ? L’amour des personnages ? Le cœur, finalement, du livre ?
Certains lecteurs le trouveront peut-être. Mais il diffère complètement du très beau poème de Musset, où le sacrifice du pélican, personnification du poète, n’avait rien à voir avec un ego démesuré inexpliqué. Surtout, le sacrifice était lié à l’amour, au cœur, véritablement, celui d’un père pour ses enfants.
« Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant ;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang. »
© Béryl Huba-Mylek
Le site du Festival « Livres en Tête » : http://festivallivresentete.com/
Une critique constructive, dirais-je
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Une critique bien construite ajouterais-je.
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