© Banksi
« On a vengé le prophète, on a tué Charlie Hebdo. » Le dernier dessin de Charb ironisait sur l’absence d’attentat en France. Un islamiste intégriste aux yeux fous prévenait : « On a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses vœux. » Ils l’ont fait. Joyeuse et heureuse année, donc.
Il est inutile de revenir sur la « raison » de l’attentat. Il n’y en a pas. Voilà pourquoi il est indécent que certains tentent de ramener sur le tapis des débats nécessairement infructueux, puisque chacun se drape dans sa bêtise, son hypocrisie, son ambition ou, plus certainement, sa haine. Les textes religieux débordent de violence, mais jamais un homme n’est puni pour un dessin. Le Coran, la Bible et la Torah foisonnent d’exemples de bonté, d’humilité, et de courage. Le prophète Mahomet, qui dédaignait les insultes et enjoignait ses fidèles à faire preuve de miséricorde, de pardon et de compassion, n’a pas été vengé hier. Il a été insulté. Allah est sans doute, pour ceux qui y croient, assez grand pour se défendre tout seul. Les hommes cagoulés qui s’imaginent porteurs de l’Islam tuent des enfants dans des écoles, violent des innocents, égorgent des journalistes et criblent de balles des dessinateurs. Ces « héros » de l’obscurité n’ont que des fous pour idolâtres.
© Vidberg
A ceux qui estiment que Charlie le méritait, que Charlie avait conscience de ce qu’il faisait, que Charlie a payé pour son outrage, sa stupidité ou sa légèreté, j’oppose le choc et la terreur d’humains dans le monde entier qui sont restés abasourdis après la nouvelle. On sait, c’est bien terrible, qu’on peut mourir aujourd’hui « pour rien », assassiné par des êtres sanguinaires qui se cachent derrière le voile de la religion. Mais quelque part, on croit, on veut croire que nous sommes protégés, en tout cas en France, et surtout en 2015. De nombreux hommes, de nombreuses femmes, sont morts au fil des siècles pour la liberté d’expression. Cette liberté, d’ailleurs, à ceux qui font de nauséabonds amalgames, n’est pas celle d’inciter à la haine, celle de s’en prendre à une communauté précise en l’attaquant de façon virulente. Non, cette liberté est celle de critiquer tout, de débattre de tout et, surtout, de rire de tout. Depuis Pierre Desproges toutefois, on le sait bien, on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. Soit.
© Bob Mankoff
Charb, dans Le Monde, disait en 2012 : « Je n’ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. C’est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. » Il était à visage découvert. Il n’était pas armé. Il n’a jamais fléchi, cédé, renoncé. Molière et La Fontaine critiquaient la cour de Louis XIV dans des comédies et des fables souvent féroces. La religion était également une de leurs cibles. Ils ont parfois tremblé, mais ils ont continué d’écrire sans jamais payer de leurs vies. Voltaire et Rousseau, deux ennemis qui se battaient pourtant contre les mêmes injustices, n’ont pas non plus été tués. Balzac, qui croquait sévèrement sa société, n’a pas été assassiné. Nietzsche a proclamé « Dieu est mort » et a vécu. Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré méritent-ils d’être associé à ces grands hommes ? Sans doute. Hier, ils sont morts d’avoir ri, d’avoir moqué. Ils sont morts d’être satirique. Pour des petits dessins humoristiques, qui paressaient si anodins, des fanatiques les ont assassinés. Ces petits dessins, parfois bien lourds, jamais subtils, toujours irrévérencieux, deviennent aujourd’hui des armes. En France, en 2015, on meurt pour des dessins.
© David Pope
Au plus grand auteur satirique, qui maîtrisait l’ironie mieux que personne, on prête ces paroles : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » En vérité, jamais Voltaire n’a prononcé ou écrit ces mots. Mais ils illustrent bien le combat qui doit être aujourd’hui celui des hommes et des femmes libres, qui luttent contre l’obscurantisme, la peur, et la haine. Charlie, même avec mauvais goût, se battait pour que l’injustice cesse, que la tolérance règne. Tolérer signifie accepter, accepter qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, qu’on soit Mahomet ou non. Ce combat, qu’on croyait terminé, il va falloir le poursuivre. Cette liberté, qu’on croyait acquise, il va falloir la défendre. Avec des rires, avec des crayons, avec du papier. Mais, surtout, avec intelligence.
© Stéphanie Blake
Le grand Duduche, timide soixante-huitard, a été assassiné. Ses amis aussi. Des policiers, d’autres innocents qui se trouvaient sur le chemin de l’horreur et de la terreur, ont été tués. Des personnes ont perdu la vie. Mais Charlie ? Où est-il ? Malgré les coups de feu qui perdurent, malgré la bêtise qui rampe et la peur qui nous saisit, Charlie est bien vivant.
Il est partout.
© Yohann
En décimant une partie de la rédaction, les terroristes ont tué des pères/mère, des fils/fille, des frères/sœur, des amis. Mais pas tous les amis. Charb et les autres ont une très grande famille. Les islamistes, en quête de sens pour remplir le vide qui les habite, ont créé des symboles pour leurs adversaires hier. Et un symbole, ça ne meurt pas. Un symbole, ça perdure, ça grandit, ça rassure. Et surtout, c’est immortel. Charlie Hebdo était un journal « bête et méchant », que beaucoup ne prenait pas au sérieux. Aujourd’hui, Charlie est un citoyen français, un citoyen du monde aussi. Un citoyen exemplaire, qui lutte contre le racisme, qui lutte contre l’intolérance, qui lutte contre l’obscurantisme, et surtout contre la bêtise. Un citoyen, comme l’auraient dit ceux morts pour lui, qui lutte contre la connerie. Mort à la connerie, alors. Nous avons du travail, car comme l’aurait dit Charles de Gaulle, c’est un « vaste programme ».
© Béryl Huba-Mylek